Chaque année, dans un moment de blues ou d’ennui, je regarde mon film préféré, Les Hommes Préfèrent les Blondes, avec Marilyn Monroe et Jane Russel. La première fois que je l’ai vu, c’était en DVD grâce à Videosphère, le vidéoclub rue de l’Abbé de l’Epée à Paris qui a fait 90% de ma culture cinéma. Je devais être plutôt jeune, car mes parents refusaient alors que je regarde des dessins-animés Disney, mais étaient tout à fait à l’aise avec l’histoire d’une blonde sans cerveau qui séduit un héritier millionnaire car elle n’aime qu’une chose dans la vie : les hommes riches. Les histoires de princes charmants, c’est non, mais des histoires de millionnaires qui offrent des diamants, c’est oui.
Si je regardais surtout ce film petite pour les chansons et les tenues, au lycée, j’avais écrit dans mon blog de l’époque un article faisant le lien entre une tirade de Marilyn Monroe et le texte de Pascal que j’avais eu en commentaire en DST de philosophie : “On n’aime donc jamais personne, mais seulement des qualités”. J’avais eu une note déplorable à ce commentaire, mais je me rattrapais grâce à une lecture métaphysique de Howard Hawks. Finalement, les personnages du film ne tombent amoureux que pour les qualités les plus superficiels possibles que sont la beauté ou l’argent, ce qui est, en soi, aussi déprimant que de lire un texte de Pascal sur la grâce. Malheureusement, ce texte est dans les limbes de l’internet, et j’ai sûrement supprimé ce blog depuis…
Il est quand même étonnant que, malgré cette propagande hollywoodienne, je n’aie aucun diamant parmi mes bijoux, et que l’idée que je dépende d’un homme pour en posséder me parait absurde et comique. Enfin, Marc, si tu passes par là, que ça ne t’empêche pas de passer chez Cartier ou Boucheron.
J’imagine que malgré leur licence sur mes choix de film, mes parents m’ont quand même inculqué quelques valeurs d’autonomie et de dur labeur. En revanche, en revoyant ce film, je comprends mieux mon obsession pour le rap féminin américain. Marilyn Monroe dit mot pour mot ce qu’une Cardi B ou une Nicki Minaj peuvent répéter constamment dans leurs morceaux : le choix le plus sérieux, le plus évident, c’est de choisir comme compagnon un homme riche et capable de faire des cadeaux ostentatoires. Mais si Lorelei, jouée par Monroe, est présentée comme une caricature par le film, son personnage aujourd’hui serait totalement assumé par des femmes bien connues du public américain. Le tout est rendu possible, comme le dit Madonna : “cause we are living in a material world”.
Ce qui a attiré mon attention cette fois-ci dans mon énième visionnage de ce film, c’est la référence dans deux chansons à Wall Street et aux “stocks”. Dans la chanson introductrice, A Little Girl from Little Rock, Jane Russell et Marilyn Monroe chantent :
For a kid from the small street I did very well on Wall Street,
Though I never owned a share of stock.
Et dans la scène la plus connue du film, Diamonds are a girl’s best friend, Marilyn Monroe parle à nouveau de Wall Street:
He’s your guy
When stocks are high,
But beware when they start to descend.
Ces deux passages disent trois choses sur la perception, encore d’actualité à mon avis, qu’on se fait des actions en bourse : elles sont la base d’une fortune, elles sont pourtant très volatiles, et elles sont surtout une affaire d’hommes. La bourse où on les achète et les vend parait inaccessible pour une femme d’une petite ville, qui doit plutôt se réfugier dans une valeur refuge, que sont les diamants que donnent en cadeau les hommes qui possèdent ces valeurs volatiles.
Cela me fait penser à une tradition assez répandue, de la Tunisie à l’Iran, qui fait des bijoux une possession exclusivement féminine, qu’un mari ne peut reprendre à sa femme : les bijoux représentent et sont la sécurité financière de la femme dans beaucoup de cultures. Il y a des liens à faire entre l’Amérique des années 50 et des traditions iraniennes pas si anciennes.
Cela me fait penser aussi à des articles disant que les femmes sont plus précautionneuses et plus averses au risque que les hommes : les actions, à cause de leur volatilité, déplairaient donc aux femmes frileuses et plairaient aux hommes audacieux. Peut-être est-ce surtout parce que les femmes possèdent en moyenne moins de capital que les hommes et qu’elles prennent plus à charge les dépenses liés à leur foyer que leur conjoint, et non une question d’audace ou de frilosité ? Ou alors est-ce plutôt la faute à Marilyn Monroe qui a endoctriné des générations de femmes à préférer les valeurs refuges aux actions risquées ?
La raison pour laquelle cette histoire de “stocks” a attiré mon attention est assez prosaïque : j’ai récemment commencé à utiliser mon Plan Epargne Actions en achetant… mes premières actions. J’étais ravie de découvrir quelque chose qui me paraissait totalement hors de ma portée il y a quelques années, mais aussi d’avoir une relation aux marques qui ne soient pas celles de consommatrice. Est-ce aussi sympa que de s’acheter des bijoux sur Gemmyo.com ? Je ne sais pas. Mais en tout cas, ça m’a paru être un pas de plus vers une forme d’autonomie et une meilleure éducation financière, ce qui est un peu ce que prêchent, à leur manière, Lorelei, Madonna, Nicki ou Megan. Le soucis, c’est que les uniques films que j’ai en tête qui parlent de la bourse sont Wall Street, The Wolf of Wall Street et The Big Short, ce qui ne rend mon investissement ni glamour, ni féminin, et encore moins éthique.
Des créatrices de contenus, comme The Financial Diet sur Youtube, Mrs Dow Jones sur Instagram ou The Millennial Coach sur TikTok, essayent de rendre plus inclusive la question de la gestion de ses finances personnelles en les adaptant aux problématiques de femmes jeunes et souvent nourries de pop culture. Cela donne des publications assez rigolotes, comme celle-ci :
Comment parler d’argent aux femmes qui ont souvent été reléguées au second rang de la question financière ? Personne n’aime être réduit à son genre et en même temps, la gestion de l’argent est intimement liée à nos valeurs, au contexte dans lequel nous vivons, et aux archétypes que nous connaissons depuis toutes petites : que se passe-t-il quand les rares femmes qui parlent franchement d’argent parlent surtout de le piquer aux hommes ? Comment parler de CAC40 aux femmes sans se transformer en Gordon Gekko à jupon ?
Je pense que la réponse est dans les diamants de Lorelei, ou dans les Kufiyah des mariées juives tunisiennes de Djerba. Parler d’argent aux femmes, c’est proposer, dans un même objet, statut social et autonomie financière. Et c’est surtout percevoir, derrière l’optimisme de la superficialité et du glamour, la froideur pessimiste de la sécurité.