If I were a rich girl

Léa Bory
5 min readFeb 26, 2021

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Pour ma Bat-Mitsvah, mon père avait une idée bien précise en tête : que je ferai mon entrée sur la piste de dance sur Rich Girl de Gwen Stefani. Ce tube, lancé en 2004, reprenait la chanson If I were a Rich Man de la comédie musicale juive Un Violon sur le Toit, et lui donnait un tour plus moderne: en dehors du featuring avec EVE et du rythme pop et dansant, Gwen parlait de ce qu’il y avait de plus aspirationnel pour une jeune femme en pleine tendance Y2K : des robes Vivienne Westwood et John Galliano.

Cet air permet bien de montrer les aspirations qui viennent avec la richesse. On ne veut pas être riche et avoir de l’argent dans l’absolu : on veut des choses précises, des choses aussi précises qu’une marque de luxe. Et je pense que ce dont on rêve quand on rêve d’argent dévoile à coup sûr nos valeurs, nos attentes, et notre personnalité. Ma question préférée, qu’est ce que je vais faire de tous ces deniers ?

Dans l’air original, dans If I were a Rich man, le héros Teyve ne veut pas, évidemment, de jolies robes de créateurs. Ce qui revient, c’est surtout : un, l’idée de ne pas travailler, d’être plutôt oisif : “If I were a wealthy man. / I wouldn’t have to work hard”, deux, rendre sa femme véritable maîtresse de son foyer, le tout avec un double-menton, et trois, d’être reconnu par sa communauté comme un homme lettré et sage : “And I’d discuss the holy books with the learned men, several hours every day.”

Dans les deux cas le regard des autres est tout de même primordial. Gwen voit dans l’argent une source d’indépendance vis-à-vis des hommes (“if I was a wealthy girl / No man could test me, impress me”) quand Teyve préfère, à l’inverse que sa communauté soit dépendante de lui et de ses conseils.

Les différences entre les deux titres montrent, à mon avis, un changement de culture qui s’est effectué en une cinquantaine d’année. Déjà, l’oisiveté n’est plus une valeur de riche, avec le chômage de masse qui fait de l’inactivité une menace pour les classes populaires, alors qu’il est valorisé pour les classes supérieures de travailler plus que mesure, notamment dans l’univers des technologies, de la banque, du conseil… Le col blanc, aujourd’hui, doit montrer ses nuits blanches et ses “charrettes” comme un signe de statut. Cette performance de l’activité est nécessaire pour justifier sa richesse : je suis riche car je travaille dur.

Ensuite, l’idée d’indépendance toute puissante parait bien plus forte aujourd’hui. Le mythe du self-made man est cher aux Etats-Unis et a des racines plutôt anciennes. L’idée est que l’homme qui s’est fait tout seul est donc bel et bien seul, indépendant de la communauté qui l’a vu grandir. Mais cette représentation s’est intensifiée, avec une communauté souvent perçue comme médiocre, mauvaise langue, et quasiment dangereuse. C’est le cas dans les écrits de Ayn Rand, théoricienne du capitalisme individualiste, et notamment dans son essai au titre plutôt parlant : La Vertu d’Egoisme. L’homme qui réussit est l’homme qui s’élève au dessus de la mêlée.

Enfin, je trouve plutôt ironique qu’en 2004 Gwen Stefani cite John Galliano alors qu’en 2000, le créateur a fait défiler une collection de haute couture “homeless chic”, inspiré des SDF qu’il croisait à Paris. Vivienne Westwood, quant à elle, puise son inspiration dans l’esthétique punk, et donc dans un mouvement dont les bases sont franchement anti-matérialistes. Gwen Stefani, en s’imaginant riche, rêve finalement de vêtements qui imitent les pauvres.

La raison pour laquelle je parle de tout ça, c’est qu’en Janvier 2021 la rappeuse Flo Milli a sorti son titre Roaring 20s où elle aussi reprend la chanson If I were a Rich Man pour l’adapter aux nouvelles années 20. Elle utilise la chanson originale comme sample sur lequel elle rappe. Elle ajoute aussi une nouvelle tournure à la réplique originale : elle est riche, mais elle n’est pas un homme riche. Et l’argent ne lui permet pas tout : si elle était un homme riche, elle pourrait ne pas se laver pendant quatre jours, fumer des joints toute la journée, faire un minimum de sport pour un maximum de résultat… Ce n’est pas cette licence qu’elle jalouse, ce qu’elle veut, c’est que personne ne vienne la critiquer. Pour la citer dans le texte : “Stupid shit, it’s just a double standard”.

Flo Milli est dans la même veine de Ciara (Like A Boy) ou Beyoncé (If I were a Boy) qui s’imaginent toutes les choses médiocres, voire totalement immorales, qu’elles pourraient faire si elles étaient des hommes. Mais Flo Milli, elle, montre bien que l’argent ne donne que partiellement une indépendance et un statut aux femmes, car il y aura toujours le regard des autres pour la brider, car elle est une femme. Son rap est colérique, acide, et elle doit rappeler les lieux communs du rap féminin à ses critiques : son autonomie sexuelle “I can fuck who I want”, son esprit d’entreprise et de travail “I made my own lane and I took advantage”, son indépendance financière “I got my own money, I don’t need your shit”.

L’histoire est connue : un jour la mère de la chanteuse Cher lui dit : “tu sais ma fille, un jour tu devrais te caser et épouser un homme riche”. A quoi Cher répond: “But mom, I am a rich man”. Cette histoire prend maintenant une coloration particulière avec Roaring 20s. Flo Milli semble y dire qu’il est finalement plus simple de devenir riche que de devenir un homme, c’est-à-dire d’acquérir les privilèges des hommes.

A ma Bat-Mitsvah, la chanson de Gwen Stefani a finalement été assez annonciatrice : la coutume est d’offrir à l’adolescent célébré de l’argent comme cadeau. Avec, je n’ai pas acheté de John Galliano (il faut dire, j’avais douze ans), et personne n’est venu me voir en me demandant conseil “comme à Salomon le Sage”. A la place, j’ai acheté un ordinateur et j’ai commencé à donner mon opinion en ligne sans qu’on me le demande.

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Written by Léa Bory

Marketing freelancer from Paris. I write about whatever I want: social media, literature, love and personal finance

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