Voici une idée de vidéo que j’ai eu pour ma chaine Tais-toi et Tricote, mais je suis malade et je pense que ma toux (et ma tête) ne passe pas bien à la vidéo en ce moment, donc voici un texte à la place. Enjoy!
Hier j’ai regardé l’investiture du président Biden, ou plutôt, j’ai regardé les commentaires quasi-immédiats des comptes mode sur Twitter et Instagram. Les couleurs des vêtements de Kamala Harris, Dr Biden (la première dame), ou de Michelle Obama, ont été rapidement disséqué pour montrer leur symbolique politique : le violet, couleur de bi-partisanisme, car le violet l’alliance du bleu et du rouge. La broche de Lady Gaga, symbole de paix après la tempête. Les designers, forcément américains.
D’habitude ce genre de commentaires me ravissent parce qu’ils mélangent le sérieux et le superficiel, le politique et la mode. Mais je dois avouer qu’ici tous ces discours m’ont un peu rendue triste. Pour expliquer ma tristesse, je dois parler de la Reine d’Angleterre, une femme qui, elle aussi, est scrutée pour ses habits. Chaque broche, chaque vêtement, symbolise quelque chose, et on la soupçonne de choisir ses habits pour, subtilement, faire entendre sa voix dans les affaires politiques qu’elle côtoie. Et cette subtilité est obligatoire : la constitution anglaise (ou du moins les textes qui lui servent de constitution), lui interdit toute prise de parole politique. Elle n’a qu’un rôle purement représentatif, mais muet. Et donc elle doit faire passer ses idées par des moyens détournés.
La mode et ses symboles peuvent donc être le moyen, pour des personnes à qui on a imposé le silence, de prendre tout de même la parole dans l’espace publique. Il est, à mon avis, parlant, que la femme la plus puissante d’Europe, Angela Merkel, a une garde robe… muette. Ses vêtements ne veulent rien dire, car finalement la chancelière allemande n’en a pas besoin, elle a sa propre voix, qui lui suffit. Et personne ne se lance dans des analyses poussées de sa garde robe, à part pour faire des nuanciers avec toutes ses tenues .
En cela, Angela Merkel a atteint un privilège qu’on accorde surtout aux hommes, de par leur vestiaire monochrome, monocorde, monotone. Les costumes, qu’on voit de plus en plus disparaitre du monde de l’entreprise mais qui sont tout de même encore la norme en politique, ne sont pas discutés, à part pour leur prix, signe de la “gabegie des élites”. Le vestiaire féminin n’a que rarement le luxe du silence. Des épaulettes des tailleurs féminins des années 80 à la robe à fleur de Cécile Duflot, le vêtement féminin a un sens, parfois malgré lui, et des interprètes.
C’est pourquoi les commentaires sur les tenues de Kamala Harris m’attristent, et d’ailleurs le youtubeur Haute Le Mode lui-même l’a signalé : il n’a jamais parlé des costumes de Pence, pourquoi devrait-il parler de ceux de Harris, qui ne sont pas foncièrement différents ? J’ai ce sentiment diffus que les analyses stylistiques des vêtements des femmes politiques ne sont que l’affirmation de leur silence, certes partiel, mais quand même toujours présent. Peut-être que ce n’est qu’une résurgence du passé qui va, petit à petit, disparaitre. Mais quel est l’avenir, alors, de ces analyses ?
C’est pourquoi je voulais finir ce texte en parlant des vêtements d’un homme : Bernie Sanders. Cette figure de la gauche du partie démocrate a assisté à l’investiture hier avec la parka kaki dans laquelle on l’a vu dans de multiples vidéos de campagne, et de gigantesques moufles. En les voyant, j’ai su que d’ici un jour ou deux, on aurait un modèle à reproduire sur Ravelry, la base de donnée des modèles de tricot. Mais je ne croyais pas si bien dire : ces moufles ont été faites main, par une tricoteuse du Vermont.
Jen Ellis est une professeure de Essex Junction, qui recycle des pulls en laine et utilise du molleton fait de bouteilles en plastique recyclées pour faire ces moufles. Elle a offert cette paire à Sanders par l’intermédiaire de sa fille en 2019, et en vend quelques paires sur internet, si vous êtes intéressés…
Ce que j’aime dans ces moufles, ce n’est pas ce qu’elles disent, les symboles qu’elles sous-entendent : l’importance du recyclage et en creux, la pollution de l’industrie textile, le fait que ce soit une professeure qui l’ait fait et donc l’importance de l’éducation pour la démocratie, le fait que l’homme politique les ait depuis longtemps, comme les idées politiques qu’il tient…
Ce que j’aime c’est ce qu’elles font, concrètement. Elles s’inscrivent dans une recherche de solution, certes à toute petite échelle, mais une solution quand même. Elles ne symbolisent pas seulement l’importance du recyclage, elles recyclent, concrètement, du tissu. Je pense que Prada, Schiaparelli, et Ralph Lauren pourraient s’inspirer de Jen Ellis à l’avenir, en proposant aux hommes et femmes politiques non seulement des vêtements qui parlent, mais aussi qui agissent.
Et en attendant j’ajoute “moufle” à la liste de mes projets à venir.