On veut du vrai mariage !

Léa Bory
6 min readJun 29, 2021

« Franchement j’aime trop Louise, elle est trop chou et inspirante. Mais je trouve qu’avec ce mariage, elle en fait un peu trop… ok il faut s’aimer, mais bon, faut pas penser qu’à soi dans la vie…. » commentaire YouTube

Louise Aubery, ou @MyBetterSelf sur les réseaux sociaux, est l’influenceuse parfaite. Loin des clichés de la vulgarité et de la bêtise des anciens candidats de télé-réalité, elle est intelligente et éduquée : elle vient d’ailleurs de terminer le même master que moi, ce qui est la preuve incontestable d’une tête très bien faite. Elle n’est pas une vendue comme ces influenceuses beauté ou mode qui font des sessions shopping de vêtements qu’elles ne porteront qu’une fois, et de maquillage qu’elles ne finiront jamais, juste pour produire du contenu. Non, elle préfère lancer sa marque de sous-vêtements éthiques. Elle est le genre d’influenceuses que j’aurais aimé avoir comme modèle quand j’avais l’âge de son audience, quand je me regardais longuement dans le miroir à detester mon corps de jeune femme : un modèle à mi-chemin entre la bonne copine et la mentor inspirante, qui assume de manger et d’aimer son corps quoiqu’il arrive, et surtout une jeune femme hyperactive qui jongle entre ses vidéos youtube, son podcast, sa marque de sous-vêtements éthiques et ses partenariats avec des marques toujours triées sur le volet.

Belle amie

Mais évidemment Louise attire les critiques, comme toutes les influenceuses après tout. Sur Twitter, on l’accuse d’hypocrisie et de connivence avec les marques : finalement, derrière son motto “on veut du vrai”, beaucoup aime à soupçonner que quelque chose se cache, derrière cette franchise à toute épreuve. Mais il y a un certain orgueil à ne pas être dupe, à dire qu’on ne nous la fait pas, à nous. L’autre critique qui revient, c’est qu’il est facile d’être aussi positive quand on est aussi privilégiée : jolie, blanche, d’une famille plutôt aisée, elle fait une taille “Sublime” dans sa marque de sous-vêtement, Sublime pour un plus prosaïque S. Elle est, disent les critiques, un peu gonflée de nous enjoindre au #selflove et à croire en nos rêves, c’est plus facile pour elle que pour le commun des mortels.

Au fond, quand on veut du vrai, on veut du sordide : Balzac ou Maupassant ne sont pas vraiment connus pour les passages les plus mièvres de leurs romans réalistes. A quoi bon dévoiler la vérité, le réel derrière les réseaux, si ce qui est dévoilé c’est : manger une très grosse patisserie bien sucrée (mais attention ! sans s’excuser), se plaindre d’avoir du mal à bosser sur ses quatre projets en même temps, ne pas arriver à ranger son appartement décoré par une architecte d’intérieur, avoir des cernes. Le “vrai” de Louise est déjà l’idéal de beaucoup.

Les Illusions perdues

Après avoir relu ces trois paragraphes, je me demande si Louise pourrait me ranger du côté de ses “haters”. Pourquoi pas, après tout ! Il est vrai que j’ai été un peu rageuse, il y a quelques semaines, à cause de ses dernières vidéos où elle décrivait le processus pour organiser son mariage. Trois vidéos pour révéler à la fin qu’elle se mariait à elle-même, pour exprimer à nouveau ses valeurs de #selflove. La première vidéo montre un enterrement de vie de jeune fille, la deuxième les différents achats pour un mariage (bague, robe, gateau, etc), et la troisième est la cérémonie en elle-même, où elle est entourée de quelques amies pendant qu’elle arrive sous l’arche sur la musique de Crazy in Love de Beyoncé feat Jay Z.

Et je ne suis pas seule à ruminer : les commentaires sous la dernière vidéo (dont celui que j’ai cité au début de l’article) expriment un dégout partagé contre la superficialité de l’entreprise, quand le self-love tourne à l’égoïsme et à la vanité.

La Parure

L’idée de se marier à soi-même n’est pas très original : il y a un épisode (saison 6, épisode 9) de Sex and the City où Carrie décide de se marier à elle-même rien que pour la liste de mariage. Elle veut que les personnes à qui elle a offert un cadeau de mariage lui rendent la pareil. A croire qu’elle a lu l’Essai sur le Don de Marcel Mauss : un cadeau (don) n’est possible que s’il y a l’espoir d’un cadeau en retour (contre-don), si possible des chaussures à plus de 500 dollars. Dans une certaine mesure, Louise aussi en retire quelque chose ; en plus des vues, ses vidéos sont l’occasion de partenariats plus ou moins explicites. Ce n’est pas très clair s’il y a eu un accord avec la bijouterie ou la patisserie du style pétrole contre nourriture, visibilité contre pièce montée. C’est dommage que le “on veut du vrai” n’aille pas jusqu’à la teneur des contrats de partenariats…

Je pense que la raison derrière mon fiel envers ces vidéos, c’est que j’ai lu récemment la Passion du Mariage de la sociologue Florence Maillochon, qui décortique pourquoi on se marie à travers le comment. La bague, la fête, la robe, tous ces choix qu’a fait Louise, ils sont décrits par les couples interviewés dans le livre. Ce qui ressort de ces entretiens, c’est l’importance du spectacle du mariage, où le couple va se mettre en scène et ajouter une pierre à leur histoire personnel. Chaque élément choisi est important pour montrer sa personnalité et raconter l’histoire de leur amour. L’ennemi de cette personnalisation, c’est la convention, et en même temps, il y a une homogénéité certaine des pratiques.

Louise aussi est une ennemie des conventions : elle ne se marie pas avec son copain, elle se marie avec elle-même. La radicalité est dans cet amour purement réflexif, mais attention, pas dans le reste. Alors oui, elle se marie en tailleur pantalon plutôt qu’une robe, parce que ça lui ressemble. Elle choisit le cidre plutôt que le champagne, parce que ça lui ressemble. Mais dans l’ensemble, on ne casse pas vraiment les codes, et trois pattes à un canard.

A l’inverse, je pense que Louise arrive à la fin d’un cheminement montré par Florence Maillochon : aujourd’hui, le moment des noces a surtout un rôle de représentation avant d’être l’expression d’un engagement ou surtout le début d’une vie de couple. Aujourd’hui on peut s’aimer, s’être fidèle, se porter secours et faire des enfants ensemble sans se marier. Aujourd’hui, rien ne nous oblige concrètement à nous marier, à part des questions de nationalité, de fiscalité ou de croyance. Alors, si la fête de mariage est si dénuée d’effets concrets sur un couple, si elle est un moment représentation avant tout, pourquoi ne pas la fêter… sans couple ?

En voulant rompre avec les conventions du genre, Louise est en complète continuation du genre du mariage, elle serait parfaite pour un sujet de dissertation “mariage, entre rupture et continuité”. Mais derrière cette continuation, on voit l’espoir du “self-love” se diluer dans des codes bien connus de l’amour… conventionnel.

Bref, tout ça pour dire : au moment où Louise postait ses vidéos, après sept ans d’amour et pendant nos vacances à Rome, mon copain m’a demandée en mariage. Et maintenant je regarde les robes du eshop de Pandore, en barre d’info de la vidéo de Louise. Et notre idée, c’est de revenir aux traditions du mariage, à ses sources les plus profondes : la scène de mariage dans Chat Noir Chat Blanc de Kusturica.

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Léa Bory

Marketing freelancer from Paris. I write about whatever I want: social media, literature, love and personal finance