Sous les voutes de Saint-Sulpice

Une homélie pas très catholique

Léa Bory
5 min readDec 20, 2023

Cet article est dédié à mes grands-parents, Marie-Ange et Pierre, pour qui je dois imprimer mes articles pour les leur envoyer par la Poste. Cette fois-ci l’article est en français, pas besoin de le traduire pour papy.

Pour une femme juive je vais quand même très souvent à l’église. Pour les baptêmes, les mariages et les funérailles. Aujourd’hui, c’était pour l’anniversaire de la mort de quelqu’un dans la famille de mon mari. Une chose que je n’apprends pas, malgré cette habitude de messes que j’ai prise bien malgré moi, est que contrairement à la sortie de la synagogue, il n’est pas coutume de casser du sucre sur le commentaire de l’officiant. “Le rabbin était verbeux, il se la ramène à citer Rashi toutes les trois secondes, et puis j’ai rien compris.” ça ne passe pas, sous les voûtes de Saint Sulpice.

Sous les voutes de Saint-Sulpice, il y a aussi La Lutte de Jacob avec l’Ange (Delacroix), 1861

Pourtant l’homélie sur le début de l’évangile de saint Matthieu était particulièrement nulle : entre deux « voila » et trois « vous voyez » le prêtre a glosé sur le fait que c’est Joseph qui apprend à Jesus « la liberté de se soumettre à Dieu » et que donc, les enfants doivent être obéissants à leur père (enfin, leur beau-père, mais ça il ne l’a pas précisé.) Un petit côté 1984 : la liberté est obéissance, l’obéissance est liberté. Le prêtre n’avait pas de notes, il cherchait l’inspiration en levant les yeux au ciel, ce qui lui aurait donné un air inspiré, si son commentaire avait été inspirant. Il faut dire on était un lundi soir, en petit comité dans les choeurs. A quoi bon se préparer ? Paris vaut bien une messe, mais rien n’a été précisé sur la qualité de ladite messe.

Mais reprenons cette histoire de Joseph. L’évangile de Saint Matthieu est considéré comme celui qui s’adresse aux Juifs, commençant par une généalogie comme on peut en trouver au début de la Genèse. Jésus est descendant de David, il peut donc prétendre à la couronne. Puis, on découvre directement le point de vue de Joseph, qui découvre que sa promise Marie est enceinte, et pas de lui. “Joseph, son époux, qui était un homme juste et ne voulait pas la diffamer publiquement, résolut de la répudier secrètement.”

Tintoretto, Holy Family with the Young St. John, ca. 1549–50, Yale University Art Gallery

Cette phrase restait très mystérieuse pour moi malgré le commentaire limpide du prêtre, mais c’est aussi le cas pour ceux qui ont élaboré La Traduction oecuménique de la Bible, ou TOB pour les intimes.

Joseph se montre-t-il juste en cela qu’il observe la loi autorisant le divorce en cas d’adultère ? ou en ce qu’il se montre débonnaire ? ou en raison de la justice qu’il devrait à une innocente? ou en ce qu’il ne veut pas se faire passer pour le père de l’enfant divin ? La réponse à ces questions demeure controversée. aucun texte de l’ancien testament ne peut justifier le caractère secret de cette répudiation : au contraire, pour être légal, celle-ci doit être scellée par un certificat officiel. D’où la question de Saint Jérôme : “comment Joseph peut-il être qualifié de juste, alors qu’il cache le crime de son épouse ?”

Rien qu’en lisant les notes de bas de page de la Bible de mon mari, le prêtre aurait pu faire un meilleur travail, mais passons. C’est le mot grec δίκαιος (dikaios) qui est traduit par “juste”, et le Bailly (le dictionnaire grec ancien- français) fait la distinction entre plusieurs sens : d’un côté “observateur de la règle” et de l’autre “humain, civilisé”, ce que la TOB appelle “débonnaire” finalement. Je penche plutôt pour l’hypothèse débonnaire tout simplement car, d’une certaine manière, Joseph décide d’enfreindre la loi de la Torah pour tenter de cacher le crime de sa fiancée. Je le vois bien qui prend pitié de cette pauvre et toute jeune fille, dont il ne sait pas très bien ce qu’il lui est arrivé : erreur de jeunesse ? Viol ? Faisait-on la différence à cette époque-là ?

Georges de La Tour, Saint Joseph charpentier (v. 1645), musée du Louvre.

Mais il apprend rapidement ce qu’il est arrivé : un ange lui annonce, dans un songe, que le père c’est Dieu lui-même, en citant, pour convaincre le lecteur juif de l’époque, un verset du livre d’Esaïe. Tout est bien qui finit bien, Joseph épouse Marie, et la suite vous la connaissez.

Il est terrible de se dire qu’il est plus facile de croire dans ce miracle d’ange qui explique à Joseph que sa fiancée a été « choisie » par Dieu, plutôt que de croire qu’un homme ait pu décider de ne pas suivre la Loi par amour ou par pitié. Au-delà de ça ! Ruiner sa réputation, oublier sa paternité, laisser tomber l’orgueil de sa virilité. Mais en même temps, j’ai du mal à imaginer mon mari, en 2021 quand nous étions seulement fiancés, ne pas briser les fiançailles si je lui avais annoncé être enceinte d’un autre.

Et pourtant c’est peut-être ce qu’a fait Joseph “le juste” : laisser tomber les convenances, peut-être inventer cette histoire fumeuse d’ange et de songe, pour pouvoir, malgré tout, épouser cette femme qui s’était foutue dans la panade. C’est sûr que l’intention de Matthieu, c’est de convaincre son lecteur que Jésus est bien né de l’immaculée conception, qu’il est le roi des juifs et qu’il est bien le messie. Mais ça, je m’en fiche un peu, pour être bien honnête.

Les Chrétiens célèbrent à Noël le miracle d’une conception immaculée. Peut-être peuvent-ils aussi célébrer ce miracle de douceur, d’un homme qui va se faire le mari d’une pauvre fille en cloque, pour lui éviter le déshonneur, ou peut-être pour rester son époux malgré tout, parce qu’il est tout simplement amoureux.

Bref, voici ce que j’aurais dit, à sa place. Et vous vous dites, pour qui elle se prend celle-là ?

Pour ma bat-mitsvah, sans surprise, j’ai dû lire un passage de la Bible, en hébreu dans le texte, devant ma synagogue. Mais ce que je dis moins, c’est que j’ai aussi dû composer et lire un commentaire sur ce passage. Le passage en question ? C’est quelque part dans la Genèse, un passage que la TOB appelle dignement “La Demeure” et “L’extérieur, l’autel et le parvis”. Plus concrètement, ce sont les consignes de Dieu sur comment aménager le tabernacle qui reçoit l’arche avec les tables de la loi. C’est un long passage très “décoration d’intérieur” en mode Elle Déco, avec des histoires de tentures, de lin, de coudées et d’anneaux en or. Dieu merci, Rashi a plein de choses à dire sur le choix de l’azur plutôt que la pourpre, ce qui a aidé la petite Léa.

Ceci dit je l’ai écrit ce commentaire, et je l’ai lu. Voilà, je me prends pour une adolescente de 12 ans.

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Léa Bory
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Written by Léa Bory

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